Nous poussons un peu plus vers l’Est, et nous voilà revenus dans le monde occidental.
Les démons étant définitivement partis le 29, nous avons enfin le droit de sortir de notre chambre. Très peu de magasins sont ouverts ce matin, nous trouvons tout de même quelques cartes postales plus jolies que la moyenne et nous arrêtons pour boire un jus frais dans un café. Une demi-heure après avoir passé commande, nous nous apprêtons à partir lorsque les jus arrivent. Benjamin n’avait pas vu que le sien contenait de la betterave, qui masque tous les autres ingrédients. Il l’avale prestement et nous retournons rapidement à l’hôtel pour prendre nos sacs.
À peine dix secondes après avoir levé le pouce, une voiture s’arrête et nous prend. Un couple et leur fils vont à Denpasar. La maman parle un anglais parfait, l’homme a écrit un livre sur le bonheur ayant connu un joli succès et distille maintenant ses conseils en développement personnel par des conférences à travers toutes l’Indonésie. Cela marche très bien, car cela leur suffit pour vivre. Ils hésitent justement à partir en voyage au long cours et nous posent plein de questions.
Déposés a la bifurcation pour l’aéroport, nous avons un peu de mal pour trouver notre voiture suivante mais une famille très interloquée par notre situation finit par nous avancer jusqu’à un arrêt de bus qui nous permet de terminer notre voyage à l’aéroport pour la modique somme de 7000 Rps /pers. (~ 0.5 euro).
La deuxième moitié du vol s’effectue dans un épais brouillard, et nous sommes suffoqués par l’humidité à la descente de l’avion. Alors que nous attendons le bagage de Benjamin en nous demandant où passer la nuit, nous voyons que Luke, un de nos contacts couchsurfing, se propose de nous héberger suite à un désistement de dernière minute. Superbe nouvelle qui nous permet de passer outre l’agacement de voir la navette partir sous notre nez. Uber n’étant pas encore implanté dans le Territoire du Nord, nous prenons un taxi classique. Le conducteur est d’origine africaine et a émigré en Australie pour y travailler. 30 dollars la course, cela fait tout drôle après deux mois en Asie…
Luke habite un peu à l’écart du centre-ville et nous a donné l’autorisation d’entrer chez lui par l’arrière-cour. Alors que nous voulons ressortir pour manger, nous sommes bloqués par un fantastique orage. De très beaux éclairs lézardent le ciel (Darwin est appelée la ville aux éclairs) et d’impressionnants coups de tonnerre retentissent. Nous décidons finalement de braver le déluge et progressons difficilement sur les trottoirs et les gazons inondés.
Nous arrivons trempés au Mac Donald’s, seul « restaurant » à moins de 15 minutes. Nous commandons les Chicken Mc Nuggets par boîte de 20, et ça aussi ça fait drôle après l’Asie.
À 23 heures, nous retrouvons Luke chez lui, qui nous offre le thé et nous montre notre superbe chambre. Il travaille sur des chantiers de construction de gazoducs, actuellement sur un gros projet gazoduc pour un groupe japonais. Bien qu’il se lève à 5 heures du matin, nous parlons jusqu’à minuit de notre voyage, et du sien qui approche : avec un ami, il s’est inscrit à un rickshaw challenge au doux nom, très évocateur, de Malabar Rampage et consistant en une course en rickshaw de la pointe Sud du sous-continent, jusqu’à Goa. Une belle aventure en perspective.
Le lendemain, nous allons visiter Darwin, ville très bizarre, très propre et très morne avec très peu de gens et de commerces ouverts.
Des aborigènes, véritables épaves rongées par l’alcool, errent dans les rues et les espaces verts. Darwin est la capitale australienne avec la plus forte concentration de populations aborigènes, dont l’assimilation a de toute évidence échoué.
Nous entrons chez The Coffee Club pour le petit-déjeuner. Nous pensons à un équivalent de Starbucks mais la carte est bien plus attrayante, les petit-déjeuners vraiment bons, et le café excellent : rien à voir en somme avec la chaîne américaine…
Nous achetons ensuite une carte SIM chez Vodafone, dont les offres sont bien plus généreuses que celles des autres opérateurs, ce qui s’explique par une couverture réseau beaucoup moins étendue. Nous prévoyons une minuscule incursion dans les terres au Sud de Darwin puis un road-trip sur la côte Est, zone bien couverte.
Après une petite promenade sur Esplanade le long du front de mer, émaillée par les quelques cris hallucinés d’aborigènes alcoolisés, nous passons chez Bargain Car Rental pour demander les tarifs de location d’une voiture afin de nous rendre au Litchfield National Park. Kakadu est tentant également mais beaucoup plus loin, très cher, et à l’accès très restreint puisque nous sommes encore en saison humide. Croyant faire une bonne affaire, nous réservons finalement notre véhicule pour le lendemain par internet.
L’après-midi se poursuit au Waterfront, où le WiFi est gratuit et illimité. Benjamin se baigne sous le regard bienveillant d’un maître nageur. Tout est propre, bien organisé et très réglementé, nous avons bel et bien changé de monde.
En étudiant les billets d’avions pour la côte Est, nous trouvons une jolie promotion pour un vol pour Brisbane dans trois jours. Nous décidons donc d’utiliser cette journée supplémentaire pour pousser notre road-trip de demain jusqu’au parc national de Nitmiluk à Katherine. C’est 300 km de highway au milieu de l’outback, Benjamin est d’attaque. En revenant, nous visiterons le parc national de Litchfield, puis prendrons directement l’avion à 1h du matin à l’aéroport de Darwin.
Après avoir bouclé ce plan parfait, nous prenons nos premiers verres de vins depuis notre repas de fête à Calcutta. Le barman est au taquet sur sa cave et abreuve Benjamin d’information sur les vins australiens. Ce sera un Syrah très alcooleux et rond, et un sémillon blanc pour la Charlotte.
Nous retrouvons à 18h Luke, ses amis, et son nouveau couchsurfer à un pub pour le dîner (on dîne très tôt en Australie). Frankie, 27 ans, est espagnol d’origine mais sans pays d’attache. Il a travaillé plus d’un an et demi aux Philippines, puis après un bref passage à Singapour, ville qu’il n’a pas aimée, compte travailler en Australie. Il n’a pas de projet de long terme, change de pays lorsqu’il en a envie.
Nous commandons tous la formule steak – frites + scooner de bière (33 cL) pour 20 dollars, apparemment un bon deal.
Autour de la table avec nous, Steve, avec qui Luke fait équipe pour le rickshaw contest dans quelques jours, et deux amies dont une australienne d’origine indienne, qui juge, comme le font très souvent les indiens immigrés, très sévèrement son pays. Nous allons ensuite tous danser dans le bar en face où un couple d’apprentis marines de la Navy américaine déployés en Australie (le Timor est tout proche…) initie à la batchata. Benjamin est tout rouillé.
La soirée se termine vers 22 heures quand Luke nous ramène tous dans son énorme 4WD Isuzu noir avec un énorme coffre arrière contenant un matelas queen size. La voiture est toute neuve et n’a pas encore vu l’outback. Frankie nous raconte une expérience couchsurfing « gay » un peu embarrassante et nous allons tous nous coucher.
Le lendemain, départ à 7h30 pour récupérer la voiture à 8h00 en ville. Nous nous sommes trompés en réservant par internet un jour au lieu de deux. Heureusement la fille de l’agence est sympa et accepte d’ignorer notre réservation et nous fait le tarif agence pour trois jours de location. Au final, nous ne perdons que les 9 dollars de dépôt.
Nous faisons les courses pour trois jours, et profitons d’être revenus dans le giron occidental : vinaigre balsamique et huile d’olive rejoignent le panier. Il nous faut encore trouver une bombonne de gaz pour le réchaud (retour de la civilisation, plus besoin de cuisiner au bois !!). Nous nous arrêtons dans un magasin de camping au bord de la route et leur achetons leur dernière cartouche.
Les 300 kilomètres jusqu’à Katherine passent rapidement, on roule sur la Stuart Highway, à simple voie sans terre-plein central, à 160 km/h sans être dérangé par la circulation, les radars, ou la présence policière…
Nous arrivons à Nitmiluk National Park vers 14h00, payons le camping une petite fortune (16$ /pers.), puis Charlotte prépare de délicieux sandwichs avocats-tomates-bacon-feta.
Le camping est cher mais il y a une piscine et un réfrigérateur.
Les wallabies (petit kangourous) gambadent tout autour de nous. L’un a une sacrée paire…
La journée étant bien avancée, nous décidons de faire la petite marche du Baruwei Loop offrant une première vue sur les gorges, puis de profiter de la piscine. Nous sommes encore en basse saison, l’accès à la rivière est pour l’instant fermé à cause du niveau d’eau et des crocodiles. En saison sèche, il est possible de remonter et camper le long des gorges.
Près du Visitor Center, deux arbres abritent des centaines de chauve-souris très impressionnantes. Elle se drapent régulièrement dans leurs immenses ailes. Elles sont difficiles à photographier et s’affolent lorsque Benjamin grimpe a l’arbre pour tenter d’obtenir un meilleur point de vue. Un couple d’Australiens nous met en garde, ses petites bêtes transmettent des maladies par leur fèces.
Dans la piscine, une mamie australienne nous parle du cyclone s’étant abattu sur Brisbane, et nous dit que les dégats sont importants. Elle nous rassure néanmoins en nous disant que d’ici à notre arrivée, le niveau de l’eau aura reflué. Le soir, c’est une belle pièce de bœuf Angus qui nous régale. L’Australie, c’est cher, mais on peut faire plaisir à son palais après la frugalité indonésienne.
La première nuit en tente est difficile, Benjamin dort très peu. Nous partons vers 8h30 pour une marche de 20 km jusqu’à Butterfly Gorge et revenant par le point de vue Pat’s Lookout. Nous nous enfonçons dans le bush, il n’y a aucun marcheur. Yambi Walk est détrempée, par endroit nous nous enfonçons jusqu’aux chevilles.
C’est d’autant plus étonnant que la chaleur devient harassante tandis que nous empruntons le chemin conduisant à la gorge des papillons. La descente se fait au milieu du bush et s’éclaircit seulement une fois en bas. Accompagnés des papillons, nous atteignons une jolie cascade puis 1 km plus loin la rivière. La piste s’arrête en raison du niveau d’eau important. Nous scrutons mais n’observons aucun crocodile.
En remontant, nous croisons une marcheuse un peu déroutée par l’épaisseur de la végétation, puis nous retournons par Waleka Walk sous un soleil de plomb. Aucune ombre et un terrain très irrégulier fait de rocher parsemés d’arbustes.
La vue depuis Pat’s Lookout est très impressionnante.
En revenant au Headquarters, nous croisons quelques marcheurs pas très matinaux.
Nous nous offrons un petit bain à la piscine avant de prendre la route pour Litchfield National Park. Avec plus de trois heures de route devant nous il ne faut pas traîner pour ne pas se faire coincer par l’obscurité.
Il est dangereux de conduire de nuit dans l’outback en Australie en raison du risque de collision très élevé avec la faune.
Nous achetons notre repas du soir au Woolworths et quelques chicken wings pour la route. Malgré un bon rythme, nous n’atteignons Batchelor, la dernière ville avant le parc, qu’au crépuscule. Il y a encore une trentaine de kilomètres jusqu’au premier camping du parc, nous choisissons plutôt de nous arrêter à un holiday park sur le bord de la route. Il est tenu par un vieux couple d’Australiens qui semblent peu habitués aux européens. Nous sommes les seuls campeurs à profiter de l’immense pelouse. La cuisine immense bien équipée permet à Charlotte de préparer de délicieuses pâtes à la sauce bolognaise, que nous mangeons confortablement installés devant un épisode de Westworld, comme à la maison.
Après un petit-déjeuner en plein air, nous roulons directement jusqu’aux Wangi Falls, les chutes les plus impressionnantes du parc. Elles alimentent une piscine naturelle fort engageante mais malheureusement fermée à cause du risque élevé de visites des crocodiles… Nous bouclons en à peine trente minutes le petit loop estimé à 1 heure et nécessitant 1L d’eau par personne… L’australie est paradoxalement un pays très sauvage, où règne une obsession sécuritaire et réglementaire proprement anglo-saxonne.
Notre prochain arrêt est Cascades, dont le plateau supérieur (Upper Cascades) est ouvert à la baignade, car les crocodiles ne peuvent y grimper. Il y a pas mal de monde mais cela reste très agréable. Benjamin engage la conversation avec un israélien qui fait l’habituel break de fin d’étude avant de revenir au pays.
Nous jetons ensuite un coup d’œil à Tolmer Falls, que l’on peut seulement observer du haut d’une plate-forme éloignée car l’accès au site -sacré- est restreint.
Benjamin fait ensuite en quinze minutes le petit tour qui permet d’observer des cycas, des plantes ressemblant à des palmiers mais qui en sont phylogénétiquement très éloignées. Elles ont subi très peu d’innovations évolutionnaires depuis le jurassique.
Il fait chaud et sur le chemin du retour nous nous arrêtons dans la piscine naturelle de Florence Falls. C’est disneyland lorsque nous arrivons, mais heureusement tout ce petit monde décide de partir rapidement. Benjamin essaie d’apprendre à Charlotte à nager à contre-courant, mais elle ne parvient pas à s’approcher à moins de dix mètre des chutes.
Alors que le parc se vide, nous faisons un dernier arrêt aux célèbres termitières du parc. La plus grande termitière cathédrale est haute de plus de quatre mètres. Dans le champ à l’opposé, des dizaines et des dizaines de termitières s’alignent parfaitement sur un axe nord-sud pour minimiser l’exposition au soleil et ainsi maintenir un niveau constant d’humidité.
Benjamin appuie sur le champignon pour être rentré à Darwin avant la nuit. Dans une station à essence sur le chemin, le pompiste nous tient un discours alarmiste concernant les inondations dans la région de Brisbane. Il serait selon lui toujours difficile de circuler…
De retour en ville, nous achetons un poulet rôti chez Coles que nous dégustons sur un banc du Waterfront puis Charlotte fait un petit somme en attendant notre vol. Nous garons la voiture à l’aéroport, glissons les clés dans la boite et embarquons à une heure du matin dans le vol Tiger Air TT655 à moitié vide.